11 novembre 2008

Voyager, observer... écrire

Dans ce numéro, nous vous proposons une pause autour des textes des voyages de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, présentés lors d’une exposition qui a eu lieu à Paris entre le mois de septembre et début novembre. Une pause pour plonger dans l’esprit incontournable de l’écrivain, duquel nous n’avons pas jusqu’à l’instant osé parler . Des textes, accompagnés des photos des lieux, nous ont facilité le voyage autour de la pensée de l’écrivain, pour que nous vous transcrivions nos appréciations .
En outre, comme nous parlons ce mois-ci littérature, nous voulons laisser une place aux lettres argentines en général et présenter un autre écrivain que nous avons découvert ici à Paris. De cette manière, nous trouvons un lien particulier entre grand nombre d’écrivains, les uns plus connus que d’autres, que c’est voyager, observer et finalement écrire.

« L’Atlas de Borges »

Nous avons envie de parler de Borges depuis très longtemps, mais la complexité et la richesse de son œuvre a à chaque fois repoussé le moment de s’y atteler. Ecrivain hors du commun, Jorge Luis Borges (1899-1986) est l’emblème de la littérature argentine; reconnu comme l’un des pionniers du
« réalisme magique » comme courrant littéraire, il défendait une littérature qui ne se limite pas à calquer le monde ennuyeux dans lequel on vit, mais qui devient fiction.
Le moment de parler de lui est finalement arrivé. L’exposition qui a lieu à Paris depuis début septembre à la Maison de l’Amérique Latine, est l’occasion tant attendue pour plonger dans quelques lignes l’univers d’idées liées au nom de cet écrivain.
Les Argentins en général, nous avons “peur de Borges” , cela fait partie de notre désir et à la fois de notre crainte de pénétrer dans une prose profonde et complexe mais qui décrit comme personne l’âme du « portègne », révélant ainsi l’identité de l’habitant de Buenos Aires. C’est peut être l’angoisse que nous ressentons de ne pas décevoir cet exemple d’esprit exquis que notre écrivain à montré de l’Argentine. “Il y a un avant et un après Borges en littérature”, une phrase qu’on entend souvent dans les milieux littéraires ; mais comment surmonter cette pression intellectuelle?.
Et voilà l’exposition. Elle est un soulagement à cette angoisse d’aborder l’écrivain, car elle dévoile sa partie la plus humaine : sa passion pour les voyages et l’amour envers celle qui l’a accompagné dans beaucoup de coins de la planète et qui est devenu sa femme peu de temps avant sa mort.

« … Au cours agréable de notre séjour sur la terre, María Kodama et moi avons parcouru et fait nos délices de bien des pays, qui ont donné lieu à bien des photographies et à bien des textes. »[1]

C’est avec ces mots du prologue de l’“Atlas” de l’écrivain, que l’exposition L’Atlas de Borges commence, pour plonger le visiteur dans un voyage à travers les villes du monde à l’aide de photos et de textes.
Les photos prises par Maria Kodama sont accompagnées des textes de l’écrivain. Union curieuse de l’image et la parole, comme si l’image ne se suffisait pas à elle même, la littérature vient compléter cet univers magique que l’image parfois ne peut pas décrire, pour sauver l’ennui de réel. Résultat de la fusion qui existait entre ces deux êtres et qui arrive à faire surgir la magie de chaque endroit. Le regard de l’un et la pensée de l’autre, regard et pensée fusionnés dans la particularité portée à chaque lieu.
Ainsi un fleuve de pensées confluent pour donner, par exemple, une description sur une ville comme Genève, où la pensée de l’écrivain s’immisce dans les aspects les plus intimes de la ville, afin de saisir son esprit, son essence, sa simple raison d’exister en tant que telle:

“ A la différence des autres villes, Genève est sans emphase. Paris n’ignore pas qu’il est Paris, Londres la bienséante sait qu’elle est Londres, Genève sait à peine qu’elle est Genève. Les grandes ombres de Calvin, de Rousseau, d’Amiel et de Ferdinand Hodler sont là mais personne n’en parle au voyageur.”[2]

Les textes de l’ « Atlas » nous démontrent qu’ il a regardé, considéré chaque endroit où il a voyagé comme une entité qui parle par elle-même. Son regard d’écrivain s’est posé sur les détails les plus inaperçus de ces endroits, non pas tant du côté esthétique, ce qui intéressait plutôt Borges c’était “la raison d’être”:

“Dans toutes les villes il y a des fontaines mais leur raison d’être sont très diverses. Dans les pays arabes elles répondent à une vieille nostalgie des déserts, où l’on sait que les poètes chantaient la citerne et l’oasis. En Italie, elles semblent satisfaire à ce désir de beauté propre à l’âme italienne”[3]

Ainsi par les textes présentés dans l’exposition, on comprend que la complexité dans la lecture de l’œuvre de Borges ne vient pas de la complication des sujets, mais de sa particularité à regarder ce qui a de plus simple et de pénétrer dans l’essence même de chaque chose. La superficialité, ce que le regard distrait peut repérer, ne lui intéresse pas; ce qu’il veut s’approprier c’est l’intime, le profond, ce sur quoi le regard curieux n’a pas peur de s’attarder.
Tout à coup, cette peur d’aborder l’écrivain disparaît, l’intellectuel nous devient homme, homme sur terre qui ne craint pas à la découvrir.



[1] Jorge Luis Borges, Prologue au livre Atlas.
[2] Jorge Luis Borges, Atlas “Genève”.
[3] Jorge Luis Borges, Atlas “Les fontaines”.

Une place pour un écrivain

Dans ce numéro, La Pause aimerait présenter Guillermo Octavio Carlevaro, un écrivain argentin qui a partagé sa vie entre Buenos Aires et Paris. Un choix de vie caractéristique d’un grand nombre d’intellectuels argentins.
Un jour, Elsa Carlevaro, a contacté La Pause pour nous faire connaître cet homme qui avait plongé dans l’écriture dans différents moments de sa vie. Aujourd’hui, Elsa a réuni les feuilles de son mari et les a éditées dans deux livres.
La Pause voulait donc lui donner une place, pour que ses œuvres arrivent aux lecteurs, qui partagent, comme G.O. Carlevaro et comme cette revue, l’intérêt pour l’Argentine et pour la France, et de cette façon, tous ceux qui s’intéressent et veulent continuer la lecture de cet écrivain puissent le faire.
On a demandé à Elsa de présenter l’ écrivain qui a été son mari, car personne mieux qu’elle ne va savoir nous introduire dans son histoire :

Guillermo Octavio Carlevaro (1929-1968) né à Concordia, une ville de la province d’Entre Rios de l’Argentine. Il a habité ensuite dans la ville de Buenos Aires et dans plusieurs pays européens, parmi lesquels la France. Il a très bien connu les particularités de la vie de la campagne argentine pour après connaître la vie des grandes villes et d’autres horizons, en séjournant dans de divers pays du globe.
Une caractéristique de son esprit : la rigueur dans ses études qui contrastait avec une certaine légèreté face au quotidien. Il avait un esprit sensible, qui aurait pu être caractérisé par la phrase de Knut Hamsum: “Je pourrais mourir par un mot qui soit trop dur”. On peut définir aussi G.O. Carlevaro par des citations des écrivains, que lui même s’ appropriait: “Moi je ris de tout, même de ce que j’aime le plus” de G.Flaubert ou : “Ce qui m’intéresse le plus c’est l’énergie passionnée de la pensée” de Robert Musil . Il a du repousser sa propre écriture par des obligations universitaires et d’enseignement. En attendant le moment d’oisiveté approprié pour s ‘occuper de ses écrits, il a été surpris par son départ définitif et cruel pour tous ceux qui l’ont connu.
Après sa mort, deux livres contenant des pages de ses carnets de notes ont été publiés en son hommage: Saludos[1] et Ciclistas en el aire[2]. Ces livres contiennent des réflexions sur des sujets philosophiques, une certaine perception du quotidien et de l’intimité dans l’interrelation.
Dans Saludos on peut lire: “El tiempo pasa sin darnos cuenta y puede suceder que hasta las cosas más familiares de pronto desaparezcan o se escondan y desde algún lugar nos espíen como a desconocidos. Cuando ocurre me encojo de hombros como ante un hecho contra el que no puedo hacer nada. Tarea inútil; hay un efecto perverso en lo acumulado, tanto es así que nadie da un paso sin consecuencias. . .”[3]
Dans le dos du livre Ciclistas en el aire, nous lisons: « G.O.Carlevaro désacralise la science et fait propre la pensée de Robert Musil, “L’erreur principale: l’excès de théorie” et il nous propose, comme si nous étions des cyclistes dans l’air, des manières différentes de parcourir la pensée. »
Les livres de Guillermo Octavio Carlevaro , Saludos et Ciclistas en el aire, se trouvent dans la bibliothèque du Service Culturel de l’Ambassade Argentine à Paris.

Elsa Carlevaro

[1] Saludos: Ed. Vinciguerra-Buenos Aires, 2001.
[2] Ciclistas en el aire: Ed. Deldragón-Buenos Aires, 2006
[3] Le livre étant en espagnol, nous proposons la traduction suivante de ce fragment : “Le temps passe sans que l’on s’en aperçoive et il arrive que même les choses les plus familières disparaissent d’un coup ou se cachent et nous épient dès quelque part comme à des inconnus. Quand cela arrive, je baisse les épaules comme devant un fait contre lequel je ne peux rien faire. Tache inutile; il existe un effet pervers dans l’accumulation, tel est ce constat que personne ne peut faire un pas sans qu’il y ait des conséquences...”