13 février 2007

PARLONS DE FOOT

Pour continuer de parler des rapports entre la France et l’Argentine, on se met cette fois-ci sur un autre terrain ; parlons football.
Quand on dit qu’on vient de l’Argentine, de l’autre côté naît un sourire et tout de suite naissent des commentaires de ce genre : le pays du foot ! la terre de Maradona ! C’est une association directe, personne ne peut nier que le nom de l’Argentine est directement lié au football.
Cela faisait un bon moment qu’on voulait s’interroger sur le pourquoi de cette association, sur ce que le football argentin représente pour les Français (image qui est aussi dans l’imaginaire du reste du monde) et sur ce qu’il représente pour nous, les Argentins.
On a donc choisit d’en parler dans ce numéro car un événement important, liant ces deux pays, se déroule ce mois- ci ; cette fois non pas sur un plan intellectuel et artistique, comme on l’a traité dans le numéro précédent, mais sur le plan sportif. Cela faisait un peu plus de 20 ans que la France et l’Argentine ne s’étaient pas confrontées au football, et c’est au Stade de France que ces deux nations vont s’affronter; Paris, accueillant une fois de plus l’esprit argentin.

« Il n'y a pas de meilleur supporter que l´Argentin." Phrase que le reste du monde nous adresse quand il s’agit de parler de foot. Il est certain que cette expression naît du fait que le phénomène football s’étale dans tous les domaines de la société argentine. Ainsi, la première question que pose un Argentin en rencontrant un autre est : tu supportes quelle équipe ? De là peut ou non naître une amitié. Les dimanches sont consacrés au foot ; celui qui suit un match ne peut pas répondre à une autre question qui ne soit pas en rapport avec le sujet. A toutes les tables argentines parler de foot s’impose, et souvent cela finit par des disputes. Combien de frères, de parents, d’amis se sont-ils disputés à cause de ce sujet ?
Dans plusieurs familles argentines, l’enfant, avant de naître, a déjà le maillot de l’équipe que son père a choisi.
Par ailleurs l’Argentin devient très exigent en matière de foot parce qu'il sait qu'il compte sur des joueurs qui se trouvent parmi les meilleurs du monde.
Cette mystification du football argentin est due aussi à la chaleur et à l’exubérance manifestées pendant les matchs, ce qui transforme les stades de foot en une attraction touristique.
Les rues sont de River ou de Boca, de Rosario Central ou de San Lorenzo.
Bref, le football est si présent dans cette société qu’on a même pu trouver des opinions parmi des intellectuels argentins remarqués.
Il semblerait pourtant que la littérature n’a pas donné au foot le même statut qu’il a dans la société argentine ; selon l’ex footballeur Jorge Valdano cela est dû à trois choses : la méfiance de la gauche envers le football, la méfiance des intellectuels envers les masses et la méfiance de l’esprit envers le corps. Il y a pourtant certains écrivains qui ont su dépasser ces barrières.
Tel est le cas d’ Ernesto Sabato qui, dans sa jeunesse, était joueur de foot et qui ne rate jamais la possibilité de se rendre au stade. Son désir exprimé à 93 ans, dans II Congreso Internacional de Lengua Española à Rosario est un témoignage de plus de son attraction envers ce sport : « La seule chose que je veux ramener de Rosario c’est le maillot de Rosario Central. » Il a manifesté aussi que « le football est l’une des choses les plus complexes, j’ai de la passion pour le foot. »
Dans son livre Sobre héroes y tumbas le football fait partie des conversations de rue et de pizzerias, pour montrer que dans le foot, comme dans la vie, l’humanité avait échouée aussi.
L’écrivain Osvaldo Soriano raconte dans son article Festejos des moments qui le lient au football. Seul, dans son studio à Paris, il suit par téléphone le match de San Lorenzo qui se déroule à onze mille kilomètres de distance. « Avec qui vais-je fêter le titre maintenant ? Avec qui je le partage ? Qu’est ce que je fais ? Je laisse tomber les deux cents pages de mon roman et je vais finir la nuit à Pigalle ? »
Soriano a bien su mélanger la littérature et le foot, ainsi dans une histoire de «Piratas, fantasmas y dinosaurios », il explique par la bouche de son personnage : « -il s’agit de quoi le livre ? de foot ?
Non, il s’agit des buts que l’on rate dans la vie. » Lire Osvaldo Soriano, c’est sans doute pénétrer dans l’âme argentine. Il utilise la métaphore du football pour montrer les opportunités que l’on perd dans la vie de chaque jour. « El penal mas largo del mundo », “Arqueros, ilusionistas et goleadores” « Cuentos de los años felices” sont des exemples de ses livres consacrés à ce sport.
Roberto Fontanarrosa n’est pas seulement un humoriste et écrivain, mais il est aussi un spécialiste du foot qui donne une vision sur cette passion dans ses manifestations les plus diverses, à l’intérieur et à l’extérieur du terrain. Le foot, comme une fête sociale, comme un monde qui atteint des dimensions magiques, surprenantes et inespérées, rencontre chez Fontanarrosa l’un de ses représentants les plus remarqués, qui a su lier grâce à l’humour les pôles opposés de la littérature et du foot. Ses livres sur ce sport sont : “No te vayas campeón”, “Cuentos de futbol argentino” et « El area 18 ». Il imagine le football remplaçant la guerre, les disputes de territoires entre deux pays se résolvent par un match de foot.
Il ne faut pas oublier de citer le commentateur sportif Victor Hugo Morales, qui est devenu une institution du football argentin. Personne ne peut oublier son cri lors du célèbre but de Maradona contre les Anglais en 1986 « cerf- volant cosmique, de quelle planète viens-tu ? Merci Dieu ! Pour le football, pour Maradona, pour cette larme ». Morales a porté des réflexions intéressantes sur la place de ce sport dans la société argentine : « Cela me préoccupe en tant que citoyen. Le foot est devenu la culture dominante. En ce moment, ce ne sont pas seulement les hommes, mais aussi les femmes, les adolescents et les enfants qui mangent, boivent et pensent football. C’est le code de rapports le plus fréquent, peut-être l’unique pour certains, au sein de notre société…Avec la crise économique, la « pelota » qui occupait traditionnellement une position considérable dans la société, est venue combler le vide laissé par le désenchantement et la pauvreté dans une situation de grande pauvreté. Il suffit que Messi laisse trois adversaires sur place avant d’aller marquer pour que le public oublie le climat de misère qui règne dans le pays . »
Finalement on ne peut pas oublier ce que Borges pensait du football,. Il a manifesté plusieurs fois son aversion pour ce qu’il considérait comme un sport ennuyeux et dont il ne supportait pas « l’ignoble esprit de compétition » Il a touché les Argentins avec sa célèbre phrase « le football est populaire parce que la stupidité est populaire. »

Derrière la Coupe du Monde de 1978


Le football suscite des passions et de ce fait peut être un instrument de contrôle et de manipulation sociale. L’image que la Coupe du Monde de 78 montrait au reste du monde était celle d’une Argentine glorieuse et joyeuse. Le football cachait cette fois-ci la torture, des gens jetés dans l’eau par avion, pendant l’événement qui montrait « un pays en ordre » et qui avait reçu la bénédiction papale.
La fête et la tristesse ont d’avantage divisé le pays pendant ce mois du Mondial 78. D’un côté le gouvernement militaire, dans ses années les plus dures de répression et de disparitions collectives de personnes. De l'autre côté, le pays fête les buts avec une ferveur patriotique. Cette coupe du monde a été une sorte de combinaison de passion et de sang, de patriotisme et de douleur, de « goal » et de rage, de gloire et de terreur.
Cette manipulation aurait pu s’éviter. La Hollande et la France ont été à la tête d’une campagne, initiée par des organismes de droit de l’homme et des groupes de gauche, afin de boycotter cette Coupe du Monde ; créant ainsi le COBA (Comité d’Organisation de Boycott contre l’Argentine), dont le président était le journaliste français François Gèze. Mais à l’intérieur même de l’Argentine, les médias s’occupaient de montrer une image surréaliste d’un pays qui n’existait pas. Des cartes postales et des photos étaient envoyées à différents pays, avec la célèbre phrase militaire : « Les Argentins, nous sommes droits et humains ».
Le football produit cette passion bizarre, une capacité de nous distraire, de nous faire oublier les choses par le cri d’un but. Combien de familles argentines ressentaient-elles la douleur d’avoir un lit vide, pendant ce mois du Mondial 78, tout en voulant voir à tout prix les matchs ?
Estela de Carlotto (Présidente de l’Association "Grands-mères de la Place de Mai") nous raconte que pendant qu’elle pleurait avec son mari, dans la cuisine, la disparition de sa fille, dans le salon, ses beaux-frères et d’autres membres de la famille fêtaient les buts de Kempes et compagnie.

Une touche de football argentin en France


Les liens entre la France et l’Argentine concernant ce sport ont toujours été forts. Le Championnat de France compte actuellement onze joueurs argentins dans six de ses équipes les plus importantes. Six autres compatriotes jouent dans la Ligue de seconde division du foot français, et il ne faut pas oublier la présence d’Alberto Costa dans la Ligue Nationale Française.
Certains joueurs ont fait un parcours remarquable dans l’histoire du football français, comme Carlos Bianchi, qui a joué dans plusieurs équipes de l’hexagone (1973-1985), considéré un temps comme meilleur buteur, pour ensuite devenir entraîneur de certaines équipes françaises. Jorge Luis Burruchaga a eu lui-aussi un parcours important en France (1986-1992) où il a été mêlé au scandale d’une affaire de corruption (l’affaire VA-OM, 1993). D’autres noms ne peuvent pas non plus être oubliés, comme celui de Juan Carlos Sorin, Gabriel Heinze et Marcelo Gallardo.
Il y a toujours eu une très bonne relation entre ces deux pays en matière de football et ce dernier temps on a beaucoup entendu parler du football argentin en France ; principalement par la venue de plusieurs joueurs argentins en équipes européennes, et par le désir manifesté par le joueur français David Trézéguet d’aller jouer en Argentine, le pays de ses origines. Le sujet le plus controversé et ayant donné lieu à quelques tensions entre les deux pays a été la possible venue de Gonzalo Higain chez les Bleus . Ce joueur, de nationalité française, mais qui vit en Argentine depuis ses 14 mois, a mentionné la possibilité de jouer en équipe de France, ce qui a déclenché une suite de « malentendus ». Le joueur a finalement donné sa réponse : rester en Argentine, “C’est le choix de mon cœur. Tous mes amis, ma famille et mon football sont de là-bas, je ne me voyais pas prendre une autre décision ».