09 janvier 2007



La ville de Paris fait partie de la mythologie argentine, par un bizarre mécanisme de l’histoire. Plusieurs croient voir des ressemblances entre la ville de Buenos Aires et la capitale française et plusieurs savent que c’est à Paris où le tango a connu ses premiers succès. Les extravagances et le luxe des Argentins qui ont séjourné dans la ville de Paris au début du 20ème siècle ont fait naître l’expression « plus riche qu’un Argentin » qui pour des raisons plus qu’évidentes a disparu aujourd’hui de la langue française. Ainsi le mythe de l’Argentin à Paris rejoint des figures les plus impairs telles que les « estancieros » riches qui dépensaient leur fortune dans cette ville et les écrivains et artistes bohémiens qui se sont fait remarquer dans la capitale française.
Nous allons donc découvrir ces deux types d’Argentins si opposés, mais pour qui la ville de Paris a laissé des traces dans leur existence.
Grâce aux premières exportations de bétail en Europe en 1889, les fermiers argentins deviennent un groupe économique et politique très puissant. Ils choisissent donc « le voyage » comme une option pour dépenser leur capital. C’est ainsi qu’un séjour à Paris s’impose pour vivre « comme il faut » et acquérir la culture de la « nouvelle Athènes d’Europe »[1]. Ainsi certaines familles de la classe dominante argentine s’établissent à Paris possédant de nombreux hôtels particuliers, sans faire aucune attention à la dépense d’argent et vivant même comme « si l’argent n’existait pas » jusqu’à ce que leur situation économique soit devenue insoutenable.
L’image de l’Argentin riche et gaspilleur a durée plusieurs années dans l’imaginaire français ; ainsi pour l’écrivain Céline, l’Argentin est la représentation même du pouvoir économique qui vit de fête pendant que la France saigne dans une guerre sans sens.[2]
Bien différente a été par contre l’expérience à Paris des hommes de lettres argentins. Ils ne cherchaient pas à mener une vie de luxe et d’oisiveté, mais c’est la possibilité de pouvoir côtoyer de mouvements esthétiques, tels que le modernisme ou le surréalisme, qui les a poussés à venir à Paris. Au même temps, le contact avec des intellectuels français et d’une ambiance cosmopolite a éveillé chez eux des sensibilités nouvelles et les a poussés à prendre de nouveaux chemins dans la création littéraire, sans oublier pourtant leurs racines argentines.
Tel a été le cas de Leopoldo Lugones, par exemple, un Argentin avec un tempérament batailleur qui vint travailler à Paris comme journaliste en 1914. C’est à Paris où il revalorise le Martin Fierro de José Hernandez, et prépare ses conférences réunies dans El Payador, consacrant définitivement le poème du gaucho Martin Fierro comme œuvre première de la littérature argentine .
Un autre cas, celui de Ricardo Güiraldes qui lit et côtoie les écrivains français du moment et découvre sa vocation de poète et chanteur à Paris. C’est pendant son séjour parisien qu’il commence à écrire Don Segundo Sombra, l’œuvre principale de cet écrivain « qui ne s’est jamais senti étranger dans aucune terre, mais sa terre de toujours fut la pampa mère ». [3]
Dans le cas d’Oliverio Girondo c’est son amitié avec le poète Jules Supervielle qui lui dévoile le chemin à suivre car il l’introduit dans les cercles surréalistes. En 1922, il publie son premier livre : Veinte poemas para leer en el tranvia dont l’esthétique marquée par le surréalisme touche les Argentins encore très conservateurs.
L’expérience parisienne d’Ernesto Sabato a été particulière, dont son séjour dans la capitale Française a été comment une conversion de foi. Physicien, en 1938, il arrive à Paris avec une bourse pour travailler auprès du couple Curie. Le soir, il s’échappe à Montparnasse pour côtoyer les surréalistes . Il racontera lui –même que ce qui l’attirait le plus de ce mouvement c’était l’attitude morale de ceux qui le composaient. C’est justement dans ces réunions qu’il découvrira sa véritable vocation d’écrivain. Il décide donc de quitter le laboratoire et de se consacrer à l’écriture, découvrant « qu’écrire est une condamnation et la littérature un véritable démon, le roi du chaos ». Depuis cet instant il essayera « d’atteindre, à travers la fiction, ce qui se trouverait au-delà de nos connaissances, ce dont ont ne peut atteindre que par le pouvoir ensorceleur des mots »[4]
Un autre écrivain, Osvaldo Soriano, s’exile à Paris après le coup d’état militaire en Argentine de 1976. Avec Julio Cortázar, il fonde la revue Sin Censura pour dénoncer les crimes et atrocités de la dictature. Il retourne à son pays, une fois la démocratie installée, marié avec une Française, tel que l’exige le tango.
Avec la « tango manie à Paris », un autre groupe d’Argentins s’est fait remarquer dans cette ville. En 1907, le musicien Alfredo Gobbi s’installe à Paris et compose ses premiers tangos. Quelques années plus tard la musique des bas fonds de Buenos Aires est devenue une obsession dans la capitale française. Cette musique, qui dans son pays d’origine avait une réputation immorale, arrive à Paris à la haute considération académique de l’Institut de France.
En 1928, le chanteur Carlos Gardel arrive à Paris, marquant un moment culminant du tango en France.
Depuis toujours les Argentins rêvons avec Paris… et possiblement, les Parisiens ne sauront jamais ce que le nom de leur ville représente dans nos cœurs.


[1] Miguel Cané appelle de cette manière la ville de Paris dans son livre En Viaje.
[2] Dans Voyage au bout de la nuit (1932), sous les mots de son personnage Ferdinand Barnamu.
[3] Dans Don Segundo Sombra
[4] Bianciotti, Hector. Ernesto Sabato, prince du chaos, Le Monde, Paris, 26/04/1996

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