23 avril 2007

L'OUBLIE

Cette photo a été trouvée par les Anglais et déposée au Imperial War Museum de Londres où elle est expliquée ainsi : « Un soldat argentin disgracié et crevant de froid boit d’un coco »
En contemplant cette photo, on réfléchit sur le fait que ces Anglais ignoraient tout de lui. Cet homme n’était qu’un soldat pour eux, Ils n’avaient aucune idée de sa culture, du maté qui le réconfortait. Mais nous non plus, nous ne connaissons rien de ce soldat « disgracié » et pire encore, nous ignorons sa destinée. On ne sait pas s’il est revenu de la guerre. Il était encore un adolescent, embarqué vers la fin du monde, presque sans entraînement. Mais après ? Comment sa vie a-t-elle continuée?
Il était l’un de ces soldats qui, selon le témoignage même de l’Armée Argentine, « n’ont jamais été ni organisés, ni équipés, ni instruits pour faire face à des adversaires capables de mener des opérations au niveau mondial, car les coûts et les efforts que cela impliquait étaient au-delà des possibilités de notre pays »
On a du mal à imaginer son retour, sa réinsertion dans la société argentine. Il a dû garder autant de choses qu’il aurait voulu raconter, victime du silence qui s’est généré autour de la guerre dont le sort lui en a fait faire partie.
Parler de Malvinas en Argentine devient parfois une affaire de fascistes ; on a du mal à le considérer comme une victime de plus de la dictature militaire, car il reste pour la plupart un « ex-combattant » . On n’a pas encore pu faire disparaître cet abîme, car quand on pense au terrorisme d’Etat on pense aux torturés, aux disparus… mais son sort à lui, on l’a oublié.
Il n’a sûrement pas pu trouver du travail, il doit vendre des souvenirs de « sa » guerre dans les bus de Buenos Aires, surmontant chaque jour l’indifférence ou les regards de compassion.
Il est peut-être devenu alcoolique, il doit mal dormir, il doit avoir du mal avec les rapports humains car ses réactions sont sûrement violentes. Il a peut-être essayé de se suicider … ou il l’a déjà fait. De toutes façons, ne le tuons-nous pas chaque jour avec notre oubli, notre indifférence, notre manque d’intérêt à propos de ce qu’il a vécu ? On a du mal à le séparer des militaires. Pour nous, la tragédie de Malvinas est finie avec la guerre, on considère rarement que c’est avec elle que la sienne a commencée.

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