20 novembre 2007

Présidentielles argentines


Nous vous proposons une autre « pause » autour des élections présidentielles argentines. Dans le numéro précédent nous avons présenté le panorama politique de l’Argentine, son parcours depuis la crise de 2001 et les candidats à se disputer la présidentielle.
Le 28 octobre dernier, les Argentins nous avons choisis celle qui va nous gouverner pendant 4 ans.
Nous ne voulions pas passer à côté de ce moment important pour tout Argentin, et même si nous nous retrouvons très loin de notre pays, La Pause est le moyen pour nous d’accompagner ces évènements.
C’est aussi le moyen de raconter à ceux qui nous accueillent ici ce qui se passe de l’autre coté de l’océan, où tout semble si loin et d’où les nouvelles arrivent en petit morceaux.
C’est notre façon d’établir des liens, que la voix argentine s’entende au delà des urnes et des frontières.

Une Argentine pour les Argentins

Le résultat des élections présidentielles argentines était sans surprises, Cristina Kircher a été élue avec environ 45% des suffrages. Emportant ainsi une grande majorité des votes, ce qui indique que la plupart des Argentins sont satisfaits du gouvernement de son mari qu’elle compte continuer.
Pourtant, l’Argentine est en train de vivre un grand changement puisque Cristina est la première femme élue pour occuper le siège présidentiel. Une autre particularité qui marque cette élection : il s’agit du premier cas au monde où le mandat présidentiel sera passé par le président à sa propre femme, rendant ainsi la présidentielle comme une affaire de famille ou de couple.
Certes, Cristina Kirchner n’est pas la première femme à gouverner le pays, Isabel Peron l’a déjà fait en 1974 après la mort de son mari, mais non pas par la voie électorale mais par le fait d’être le vice-président du pays, ce qui l’a fait occuper automatiquement le siège présidentiel.
Il est curieux que dans un pays comme l’Argentine dont la réputation est d’être très « matcho » les femmes aient eu une place active dans la vie politique. Rappelons-nous le cas d’Eva Peron, qui par son charisme face aux classes populaires est devenue jusqu’à aujourd’hui une figure emblématique de l’univers politique Argentin.
Cristina Kirchner… Beaucoup de gens voient chez elle une « nouvelle Evita », peut être à cause de l’attirance qu’elle suscite chez les classes populaires (il faut remarquer que la plupart des suffrages venaient des secteurs les plus défavorisés de la société), pour son image soignée et séductrice ou encore pour sa personnalité forte et persévérante.
Qui est donc cette femme qui s’inscrit dans la courte liste des présidentes à gouverner leurs pays et dont son élection a ouvert le débat dans le monde entier à propos de la place de la femme au sein du pouvoir ? Sénateur à fort tempérament qui a mené la lutte contre la corruption du gouvernement de Menem, principalement dans les affaires de vente illégale d’armes vers l’Equateur et la Croatie ; elle représente le Front pour la Victoire, un parti à courrant péroniste fondé par son mari lors des précédentes élections présidentielles.
Le slogan de sa campagne « Le changement vient de commencer » promet la continuité de la politique menée par son mari depuis 2003.
Continuité dans la course pour ranimer le pays après sa plus dure crise, car c’est surtout cela que l’on reconnaît au gouvernement de Nestor Kirchner. Il a réussi à réveiller l’économie et à permettre aux Argentins de sortir la tête de l’eau et respirer grâce à une remonté des économies particulières et à la mise en place d’une série de plans sociaux.
Continuité dans la lutte des droits de l’homme, car pendant son gouvernement Nestor Kirchner a rouvert le procès des militaires inculpés lors de la dictature militaire et suspendu les lois « du Point final et de l’obéissance due » qui étaient une armistice des crimes commis pendant la dictature. Il a accordé une place importante aux Mères et Grand-Mères de la Place de Mai et son soutien absolu dans leur lutte contre l’impunité et la recherche des enfants des disparus.
En effet, ces dernières années, les crimes de la dictature sont devenus un sujet beaucoup plus courrant dans la société, grâce au biais des médias, des expositions et la consécration de l’ESMA comme musée de la mémoire.
Même si le bilan du gouvernement de Nestor Kirchner semble positif, il y a pourtant beaucoup d’aspects qui ne sont pas très encourageants, comme la situation de nombre de paysans expulsés de leurs terres, victimes des résultats néfastes que produit la culture du soja, « l’or vert » qui est devenu la principale source économique de l’Argentine.
Des luttes continuent toujours d’émerger. Avec la croissance de l’inflation, de nombreux conflits du travail ont éclaté ; les travailleurs réclament notamment des hausses de salaires.
Du côté des droits de l’homme, même si 30 ans se sont écoulés depuis les horreurs de la dictature, la disparition il y a plus d’un an de Julio Lopez, témoin des crimes de la dictature lors du procès de l’ex dictateur Etchecolatz , laisse une plaie ouverte et le sentiment que la situation n’a pas vraiment changé pendant ce gouvernement.
Continuité promet la femme à qui les Argentins ont confié la présidence. Cependant, même s’il s’agit de poursuivre la même voie politique, des changements deviennent urgents, c’était sûrement le voeu des Argentins le 28 octobre dernier.

Une lumière dans l’obscurité

Depuis longtemps le panorama politique en Argentine est le même.
On peut dire que pendant les années 80, avec le retour de la démocratie, tous les espoirs réprimés lors de la dictature militaire étaient réapparus. Raul Alfonsin, après avoir été élu président de la République en 1983, arrivait à réunir une très grande quantité de gens dans les places et les stades grâce à des discours qui aujourd’hui sont devenus impossible à retrouver. Il avait une crédibilité politique qui, avec le temps, a disparue dans la société.
Après il y a eu Menem, avec son double discours… Malgré « la révolution productive », il a finalement vendu tout ce qu’il a pu. Il y a eu également la loi de la convertibilité, qui en a fait rêver des Argentins mais qui, à la fin, n’a conduit qu’à la débâcle de l’économie.
Et pour finaliser le scénario, De la Rua qui a détruit le peu qui restait de crédibilité politique argentine, s’enfuyant avec elle en hélicoptère.
Donc, après ce défilé des personnages politiques, que reste-t-il ? On dirait : rien.
Mais en parallèle à ce qu’il se passe au niveau national, il y a de petites figures locales qui travaillent afin que le peu de crédibilité politique qui demeure ne s’évanouisse pas.
Un bon exemple est Rosario. Un belle ville qui se trouve à 270km au nord-est de Buenos Aires et qui appartient à la province de Santa Fe. Cette ville a un million d’habitants et un fleuve, le « Parana », qui la traverse du nord à sud et lui donne son caractère particulier.
Et c’est ici que Hermes Binner a été réélu deux fois consécutives. Il avait beaucoup apporté à Rosario et il aurait pu être relu une troisième fois, mais il avait préféré se présenter comme gouverneur de la province. Cependant, le bloc péroniste lui en avait empêché. Bien que le candidat socialiste avait réuni plus de votes que chaque candidat péroniste le jour des élections, la « Loi de lemas », qui additionne tous les votes de tous le candidats du même parti, favorise toujours les péronistes (qui sont plus nombreux).
Mais lors de cette dernière élection, le 2 septembre 2007, cette fois sans la « Loi de lemas », Binner gagne facilement avec presque le 50% des votes. Une province avec un gouverneur socialiste c’est du jamais vu dans l’histoire argentine.
Hermes Binner compte avec le soutien des gens, qui pour la première fois se dissent ravis d’avoir choisi et voté pour un candidat.

Nous voulons remercier tout particulièrement Lucia Bley de nous avoir aidées dans la réalisation de ce numéro et à Mathieu Daumenil et à Roxane Chanalet-Quercy pour leur aide précedente!

17 octobre 2007

A quelques jours des Présidentielles Argentines

En décembre 2001, l’Argentine devenait célèbre dans le monde entier, alors qu’elle traversait la crise économique la plus dure de son histoire. En tant qu’Argentines à Paris, on nous a souvent posé des questions imprégnées de compassion du type : « ça va votre pays ? Ça va mieux maintenant ? », Ce sont ce genre de questions auxquelles il est difficile de répondre, presque 7 ans se sont passés depuis ce moment très dur pour tous ceux qui l’avons vécu.
En ce moment, une autre période liée à cette crise est en train de s’achever à travers la fin du mandat du premier président élu par les Argentins le lendemain de ce moment douloureux
Nous souhaitons donc dans ce numéro de La Pause parler de ce qui s’est passé après 2001, pour porter un regard sur ce que ce gouvernement a apporté au pays, alors en plein effondrement. Cette année, les urnes appellent encore une fois un peuple à choisir un nouveau président, mais cette fois-ci de l’autre côté de l’océan, et comme les élections présidentielles argentines auront lieu à la fin du mois, nous vous présentons aussi dans ce numéro les candidats les plus importants et la situation politique d’Argentine aujourd’hui.

Argentine 2001 - Octobre 2007

Depuis l’année 2001, l’Argentine a connu de nombreuses transformations, tant au niveau social, politique que culturel. Ces transformations ont vu le jour grâce à l’incroyable mobilisation des Argentins dans les rues de tous le pays, poussant le gouvernement de l’époque à la démission. Le peuple avait gagné.
La crise a donc laissé les portes ouvertes à la naissance d’une nouvelle Argentine. Cependant, même si de nombreux changements se sont concrétisés, il reste encore beaucoup de choses à faire et à changer.
Lorsque le gouvernement, choisi par la grande majorité de la société, quitte sa place, le défilé d’hommes politiques à vouloir occuper le siège présidentiel commence.
Le premier à remplacer, Fernando de la Rua, a été Ramon Puerta, alors Président Provisionnel du Sénat. Le vice-président, Carlos Chacho Alvarez, avait déjà abandonné sa place pour cause de désaccord avec les décisions prises par son parti politique.
Le deuxième, Adolfo Rodriguez Saa, élu président par l’Assemblée Législative, n’est pas resté jusqu’en 2002, ce qui le pousse à présenter sa démission le 31 décembre de la même année.
Le troisième, Eduardo Camaño, Président de La Chambre de Députés, occupe provisoirement la place présidentielle, en attendant la désignation d’un nouveau chef d’Etat lors de prochaines élections.
Finalement Eduardo Duhalde, qui avait été battu par Fernando de la Rua lors des présidentielles précédentes, assume la présidence le 2 janvier 2002, élu par la majorité de l’Assemblé Constitutionnelle.
Parmi ses premières mesures, on trouve : la dévaluation de la monnaie qui a aidé à mettre fin à la Loi de la Convertibilité et l’application de nombreux plans sociaux destinés à atténuer les effets de la politique néolibérale des gouvernements précédents sur une grande partie de la population plongée alors dans une pauvreté et une indigence extrêmes.
Cependant, ce président poursuivait la politique menée jusqu’alors par ses prédécesseurs, ce qui créa les conditions d’un mécontentement grandissant de la part du peuple argentin, qui devait également subir le gèle de leur épargne détenue dans les banque, plus connu sous le terme de « corralito ». Les problèmes qui touchaient la population restaient sans solution.
Mais finalement, ce qui a achevé ce gouvernement a été une grève du Mouvement de Chômeurs à Buenos Aires, au cours de laquelle deux manifestants ont trouvé la mort lors des confrontations qui les opposèrent aux « forces de l’ordre ».
Cet événement conduisit Duhalde à présenter sa démission et à organiser des élections anticipées six mois avant la date prévue.
Son successeur fut Nestor Kirchner, que Duhalde a soutenu pendant les présidentielles. Il devint le premier président à être élu par voix électorale depuis Fernando de la Rua.
N’ayant pas obtenu la majorité des suffrages au premier tour de l’élection (22%) et se trouvant en possession de ballottage favorable face à l’ex-président Carlos Saul Menem (24%). Il parvint finalement à remporter les élections lorsque Carlos Menem décida de se retirer.
Comme il s’agissait d’un gouvernement qui n’avait pas été élu par la majorité des Argentins, il y avait de la méfiance envers lui.
Le pays était détruit au niveau économique, social et politique et la population croyait de moins en moins à la faculté des politiciens à redresser le pays.
Nestor Kirchner a pu compléter son mandat présidentiel, ce qui est déjà difficile dans un pays où les gens arrivent à renverser le gouvernement.
Il s’est occupé en premier lieu des problèmes sociaux. Ce qu’on lui reconnaît le plus a été l’abolition des Lois « Obediencia Debida y Punto Final » lesquelles avaient laissé les militaires responsables de la disparition de personnes, en liberté. Ensuite il a déclaré l’ESMA, (Ecole Supérieure de Mécanique de la Marine, le premier endroit de détention clandestine) comme Musée de la Mémoire et a décroché de ses murs les photos de principaux responsables du coup d’état de 1976, le militaire Jorge Rafael Videla et le général Roberto Bignone.
C’est le premier président à avoir eu la volonté de faire face à l’Armée et à la Justice, déplaçant la plupart des juges qui occupaient leur place depuis une quinzaine d’années.
Il a donné la parole aux Mères et Grand-Mères de la Place de Mai.
Ce qui s’entend en contre de sa politique, ce qu’il est trop autoritaire, et que l’économie n’est pas stable du tout.
Mais, ce n’était pas facile de relever un pays qui s’effondrait depuis 30 ans.

Les Candidats

Les élections présidentielles en Argentine auront lieu le 28 octobre prochain, nous vous proposons une liste des quatre candidats qui sont à la tête des sondages parmi les 14 qui se présentent aux élections. Pour mieux comprendre le climat politique argentin, il faut d’abord remarquer qu’aucun de ses candidats n’appartient à un parti politique traditionnel. A partir de la crise de 2001, la fragmentation des partis est très forte, ce qui a produit la combinaison des branches de ces partis soutenus par des personnalités charismatiques :

« La pingouine » ou « La rebelle »Cristina Fernández, femme de l’actuel président argentin Néstor Kirchner et actuellement sénateur de la nation, est pour le moment en tête des sondages. Elle se présente sous les couleurs du « Front pour la Victoire » (Frente para la Victoria, FPV), faction électorale de centre-gauche créée en 2003, à l'occasion de la précédente élection présidentielle, la formation se réclamant « officiellement » de l'héritage du Péronisme.
Dans son programme, elle défend le bilan du gouvernement dirigé par son mari depuis 2003 tout en adoptant pour slogan : “Le changement commence à peine”.
Elle met l’accent sur l’importance du dialogue social entre les travailleurs et les patrons afin de renforcer le modèle mis en marche au cours des quatre dernières années et insiste sur le fait que "L'économie reste le thème principal".
En terme de politique internationale, Cristina semble s’éloigner de celle menée jusqu’alors par son mari ; particulièrement en matière d’alliance, remettant en cause le rapprochement de l’actuel président avec le président vénézuélien et anti-américain, Hugo Chavez.
« Lilita l´ouragan »

Une autre femme, chrétienne de centre gauche est dans la liste des candidats. Il s’agit d’Elisa Carrio qui, selon les sondages, arriverait en deuxième dans la course à la présidentielle. Fondatrice du parti « Affirmation pour une République Egalitaire » (Afirmación para una República Igualitaria), elle représente la « Coalicion Civica », un mouvement qui dépasse les barrières de la politique traditionnelle, où le comportement de ses membres est placé devant leur idéologie. Il s’agit d’un espace pluriel de participation et consensus constitué par des groupes et des citoyens qui dans une diversité d’idées coïncident dans les principes de : République, Etique, et Distribution des Revenus Elisa Carrio était déjà devenue populaire en Argentine en dénonçant la corruption des gouvernements précédents, appelant, dans le contexte de désespoir politique de 2002, à manifester sous le mot d’ordre « Que se vayan todos » (« Qu'ils s'en aillent tous »).
Elle promet, entre autres, d'en finir avec "la corruption qui se termine quand les présidents cessent de voler". Elle se définit comme "une représentante de la classe moyenne capable de rallier les secteurs les plus défavorisés".
En politique étrangère, elle admet des affinités avec les présidents du Chili et de l'Uruguay, Michelle Bachelet et Tabaré Vazquez, "même s'ils sont plus à gauche". Elle pourfend le "populisme" du président vénézuélien Hugo Chavez et présente "la complémentarité de l'Argentine et du Brésil comme une nécessité en Amérique latine".

« L’économiste »

Roberto Lavagna, ancien ministre de l'Économie, de 2002 à 2005, durant les mandats d'Eduardo Duhalde et de Néstor Kirchner, est le candidat à se disputer la deuxième place selon les sondages. Avec son slogan : « Pare l’inflacion » (« Arrêtez l’inflation ») il préside le parti Una Nación Avanzada (UNA). Dans son plan, une importance primordiale est donnée aux problèmes de l’inflation, de l’insécurité et de la crise énergétique, accusant le gouvernement actuel de pratiquer une politique de l’autruche visant à ignorer ces problèmes.

« Le bulldog »
Ricardo López Murphy, ministre de l’économie en 2001, est le candidat représentant le parti PRO Recrear (Recréer pour la croissance) formé en 2002 par d'anciens membres de l'aile droite de l'Union Civica Radicale. Néolibéral pur et dur et ex fonctionnaire de la dernière dictature, il est soutenu par le FMI, les militaires et la droite argentine. Son plan politique est basé principalement sur une économie du marché et vise à assurer la sécurité et la lutte conte la violence.
En matière de politique internationale, il préconise pour l’Amérique Latine une voix opposée aux actuelles expériences populistes latino-américaines soutenues par le président vénézuélien Hugo Chavez.

Pour approfondir….

Si vous souhaitez vous informer un peu plus sur L’Argentine d’aujourd’hui, nous vous conseillons « L’Argentine après la débâcle », publié par Michel Houdiard Editeur, Paris, septembre 2007.
Écrit sous la direction de Diana Quattrocchi-Woisson, Présidente de L’Observatoire de l’Argentine Contemporaine, en collaboration avec de nombreux spécialistes d’économie, de sociologie, de politique, de science et de culture. Une grande équipe d’intellectuels qui se sont réunis pour débattre des différents aspects de l’Argentine après la crise du 2001.
On trouve dans ce livre une diversité d’idées qui aident à comprendre la logique interne d’un pays qui veut grandir.

10 septembre 2007

LA RENTREE

On se rencontre une nouvelle fois dans LA PAUSE. En cette période de rentrée scolaire nous avons voulu aborder un sujet qui lie l’Argentine et la France dans ce contexte.
Dans ce numéro, nous aborderons le thème des étudiants argentins à Paris. Comment vivent-ils leur expérience universitaire dans la ville « la plus culturelle du monde » ? Pourquoi leur choix s’est-il posé sur Paris ?
Curieusement, c’est un étudiant français qui s’est déjà posé ces questions et qui a choisi d’en faire le thème de son mémoire de Master. Etant donné que nous sommes nous aussi des Argentines ayant choisi Paris comme la ville idéale pour continuer nos études, il nous a semblé intéressant d’apporter à notre propre expérience un regard extérieur, et de le faire collaborer à ce numéro, afin de pouvoir vous apporter une histoire plus complète, en deux dimensions. Une histoire vue à travers deux regards, argentin et français.
Bonne rentrée !

DES ETUDIANTS ARGENTINS À PARIS


Il est 19h, Gabriel me rejoint en dessous de la Tour Eiffel, à l’endroit où nous nous sommes donnés rendez-vous la veille pour effectuer un entretien en rapport avec le mémoire que j’écris sur « les étudiants argentins à Paris ». Levant les yeux au ciel pour bien apprécier l’étendue de la structure métallique, nous sentons traverser en nous l’incroyable masse qui nous surplombe. La Tour Effel est décidément bien plus impressionnante que ce qu’il imaginait, me dit-il. Il est vrai qu’en ce début de mois de septembre elle est particulièrement à son avantage. Les rayons de soleil de l’été apaisé la caressent d’une couleur rouge dorée qui laisse Gabriel rêveur. Arrivé d’Argentine il y a quelques jours, il se dit que son année universitaire commence plutôt bien.
Tout comme Gabriel, de plus en plus d’étudiants argentins viennent chaque année peupler les bancs des facs parisiennes. C’est autour des témoignages de ces étudiants argentins, recueillis au cours de ma recherche, que l’article s’articulera. Nous y découvrirons certaines des raisons qui les ont attirées vers Paris et quelques anecdotes de leur vie universitaire parisienne. En voici quelques morceaux choisis.

Sachons pour commencer que, par la diversité et la renommée de ses universités, Paris représente une destination privilégiée pour bon nombre d’étudiants argentins, majoritairement enclins à se diriger vers les filières de Sciences Humaine ou de Lettres. Cet attrait provient probablement, selon Gabriel, de l’influence de grands sociologues français dont certains étudiants argentins se sont imprégnés tout au long de leur vie universitaire : "Je voulais faire une spécialisation après mes études et la France en sciences sociales a plutôt bonne réputation, et puis il y a Bourdieu, Barthes, Foucault, tous ces auteurs français qu’on a vu à la fac".

Mais la capitale bénéficie également d’un patrimoine culturel important très prisé par certains étudiants, comme nous le montre le témoignage de Flor, pour elle "l’image de la France en Argentine est très positive, c’est la culture, l’éventail des musées et les nombreuses possibilités de pouvoir confronter son esprit à de nouvelles expériences artistiques".

D’autres justifient d’avantage leur choix par l’impossibilité pour eux de poursuivre convenablement leur cursus au pays, comme nous le précise Carlos, doctorant en sciences politiques à Jussieu : "Je voulais faire des études doctorales et c’est assez dure de le faire en Argentine, les doctorats n’on pas bonne réputation, en plus jusqu’à la cinquième année si tu es dans une fac publique c’est gratuit, mais après si tu veux poursuivre tes études, ça devient cher". Il explique que le faible coût des frais d’inscription appliqués dans les universités françaises peut alors devenir déterminant pour des étudiants comme lui, désireux d’accéder à un enseignement de qualité et dont les ressources financières sont parfois restreintes.

Certains étudiants argentins peuvent également bénéficier d’un atout de poids au cours de leur séjour. En effet, les nombreux migrants d’Europe, italiens et espagnols en tête, arrivés au cours du XIXème et du XXème siècle en Argentine, permettent aujourd’hui à de nombreux argentins de pouvoir justifier d’une double nationalité. Disposant d’un passeport européen, certains étudiants argentins ont pu ainsi envisager plus sereinement leur année universitaire en France étant donné, qu’au même titre que n’importe quel européen, ils échappent aux obligations administratives qui accompagnent habituellement le séjour d’un étudiant étranger.

Pour Laura, avoir la double nationalité argentine et danoise lui apporte une liberté de mouvement qu’elle apprécie tout particulièrement. Elle nous explique de quelle manière elle joue sur l’une ou l’autre lors de ses déplacements :

" Lorsque je sors d’Argentine, j’utilise le passeport argentin et quand je rentre en Europe je montre le passeport danois ; ici je me suis inscrite à l’université en tant que danoise, c’est beaucoup plus simple, j’ai pas besoin de visa, de permis de travail, de carte de séjour, en fait j’utilise l’un où l’autre pour des questions de facilité"

Cependant, ce genre de cas de figure ne concerne pas tous les étudiants argentins venus étudier à Paris qui doivent, pour la plupart, se soumettre à des exigences administratives contraignantes, parfois même contradictoires, comme nous l’explique Marian, étudiante en Master à Sciences Pô :

" Par exemple, tu ne peux pas t’inscrire à la faculté si tu n’as pas de titre de séjour, et tu ne peux pas avoir de titre de séjour si tu n’as pas d’inscription à la fac…mais bon, tu parles avec quelqu’un de l’université, et il te dit, ok, bon, on peut t’inscrire sans problème, alors que l’affiche qui est collée sur le mur indique le contraire…tout ça peut compliquer la vie, mais comme en Argentine tout fonctionne un peu près comme ça, on a l’habitude,, par contre un étudiant allemand peut devenir fou ".

En cette période de rentrée, synonyme de stress et d’anxiété, n’hésitez donc pas, si vous apercevez un étudiant en sueur, perdu dans la jungle parisienne, qu’il soit d’Argentine ou d’ailleurs, de sympathiquement l’accompagner sur le chemin de la tranquillité et pourquoi pas lui souhaiter la bienvenue autour d’une Quilmes bien fraîche ou d’un bon Bordeaux !
Mathieu Dumesnil

UNE HISTOIRE DE MUSIQUE

Entretien avec Ezequiel Claverie, étudiant argentin à Paris
Ezequiel Claverie est arrivé à Paris à l’âge de 19 ans. Il est originaire de San Nicolas, une petite ville proche de Buenos Aires.
En Argentine, il étudiait le théâtre et faisait de la musique. C’est à ce moment là qu’il a commencé à aimer « la musique expérimentale ».
Il savait déjà que la France se caractérisait pour être le premier pays à faire de « la musique concrète » qui a inspiré beaucoup d’autres genres musicaux…
Ezequiel connaissait la France par ses idées de diversité et de liberté. Aujourd’hui il retrouve ces valeurs dans son université, à Paris 8.
Au début, il s’était renseigné sur les différentes universités de musique, à Paris, mais entre toutes Sant-Denis était la « plus cool ».
Dans cette université, il s’est senti comme un étudiant parmi tant d’autres. « Jamais je ne me suis senti comme un étudiant étranger, ils te reçoivent avec les bras ouverts et t’aident si tu as des fautes avec la langue française pendant les examens. Je crois que les professeurs aiment avoir des élèves du monde entier ».
Il a suivi quatre années d’études universitaires dont la première était destinée à tous ceux qui n‘avaient pas de connaissances basiques en musique. Il s’est ensuite spécialisé en « musique électronique contemporaine » lors de la dernière année.
« Tout ce que j’ai appris ici, je n’aurait pas pu l’apprendre en Argentine ».
À la fin de son cursus, il a pu présenter une de ses pièces à un concours, laquelle a été choisie pour être jouée à l’Institut Cervantes à Paris.
Son prochain but est maintenant de poursuivre ses études, mais cette fois à Londres.
« Je pars parce que j’ai appris tout ce dont j’avais besoin et maintenant je veux faire des études plus techniques que l’histoire de l’art où de la musique, donc je vais aller à Londres où c’est mieux pour tout ça ».
« J’ai fini l’université à Paris d’une belle manière et j’en garde un très bon souvenir».

06 juillet 2007

Cinéma argentin à Paris

On a eu toujours envie de parler dans La Pause de cinéma argentin, et le moment est venu car deux films viennent de sortir à Paris cette semaine.
C’est vrai que presque tous les films argentins montrent souvent les problèmes qui affectent ce pays , la pauvreté, la crise, l’émigration, entre autres. Et en quoi ce deux films sont une exception ?
D’une côte, on verra la simplicité d’un personnage particulier qui vit une histoire qui marquera sa vie, et d’un autre côte on revoie le sujet de la dictature militaire traité d’une manière originale.
On vous laisse une pause pour nous lire et si cela vous enthousiasme, allez au cinéma !!

Un film argentin à Paris qui nous confronte à l’horreur de la dictature militaire


On peut voir dans les rues, sur les affiches et dans les magazines que les films argentins ont été nombreux à sortir dans les salles obscures parisiennes ce mois-ci. Certains ont même bénéficié d’un important relaie médiatique et d’un soutien critique flatteur. Parmi ceux-ci, on compte « Le chemin de San Diego », « La leon », « El custodio » ou encore cette semaine la sortie de « Buenos Aires 1977 », un film autour d’un sujet assez polémique et très difficile à exprimer : la dictature militaire en Argentine, les années les plus noires de ce pays.
Trente et une années se sont passées depuis, mais il reste aujourd’hui encore, beaucoup de choses à dire. C’est pour cette raison que, chaque fois qu’un film traite de ce sujet les opportunités d’éclairer une nouvelle facette de la dictature ne manquent pas. Cependant, de nombreux aspects de cette période restent, encore aujourd’hui, floues : les responsabilités ne sont pas assez montrées du doigt et de nombreux cas sont encore à élucider. C’est pourquoi certains films, faute d’éléments nouveaux, reproduisent des faits déjà connus et apportent finalement une compréhension supplémentaire limitée de cette période.
« Buenos Aires 1977 » est montrée avec un regard jeune, celui du réalisateur, Israel Adrian Caetano, une trentaine d’années et qui, faisant partie de la première génération née après la dictature, ne possède pas la même histoire de vie que celles des autres réalisateurs ayant vécu (ou survécu) à la dictature. De plus, Caetano est née en Uruguay et ne rejoindra l’Argentine qu’à l’âge de 16 ans pour s’y former. Il a donc vécu cette période de l’extérieur, ce qui lui permet de poser un regard très personnel sur les faits.
Entre triller et drame historique, avec un décor qui fait penser à un film d’horreur, l’histoire, inspirée d’un fait réel[1], raconte les 120 jours passés par quatre jeunes argentins dans un centre de réclusion clandestine jusqu’à leur fuite. Il s’agit donc d’un film témoignage de ce qui a été l’horreur de la dictature militaire. Les personnages enfermés pendant plusieurs mois, tentent l’évasion comme seule possibilité d’échapper à l’enfer de la torture.
C’est la torture l’axe principal du film, il nous montre sa gravité et son inhumanité sans montrer des images tortueuses mais instaurant un huis-clos d’une grande tension psychologique, permettant au spectateur de se mettre dans la peau des torturés et de partager leur enfer quotidien. Il montre aussi l’incohérence de ces méthodes, car les bourreaux exigent des renseignements sur des "activistes de gauche" supposés "préparer des attentats", instaurant chez leurs victimes un dilemme moral : se taire et mourir, ou dénoncer des innocents pour gagner du temps ? L’originalité de ce film réside dans le fait qu’il traite de la dictature, mais du point de vue des survivants, permettant de s’interroger sur comment peut-on survivre après la torture. Ce film apporte un nouveau point de vue grâce aux témoignages de ces quatre jeunes qui ont pu s’échapper de ce centre appelé « Maison Seré ». Il s’agit donc de la vie après la mort…c’est l’histoire de ceux qui ont pu continuer.
[1] Ce film est inspiré du livre publié par l'un de ces quatre survivants, Claudio Tamburrini, "Pase libre, la fuga de la Mansion Seré".


Une fois la démocratie restaurée, une grande quantité de films argentins ont montré et dénoncé les actions du gouvernement militaire déchu. Ils décrivent la situation vécue pendant cette période sous différents aspects : les mères et leurs fils disparus, les enfants enlevés aux détenus dont on ignore ce qu’ils sont devenus, les disparus, les exilées, les méthodes inhumaines utilisées lors du procès, et l’ignorance et la peur de beaucoup de citoyens face à ces faits.
Parmi ces films, certains illustrent tout particulièrement ce qu’à pu vivre l’Argentine pendant ses années :

« La historia oficial » (1985), de Luis Puenzo.
Ce film a été l’un des premiers à traiter le thème du destin des enfants volés aux mères disparues. Très choquant et réel, il a gagné un oscar dans la catégorie « meilleur film étranger » et dépeint des personnages forts incarnés par des acteurs très reconnus.

« La noche de los làpices » (1986), de Hector Olivera.
L’un des premiers films à traiter des étudiants, de leurs revendications, de leurs luttes et du pouvoir des forces policières au début des années 70. Ce film a été projeté presque dans tous les lycées argentins pendant les années 90 pour faire connaître l’histoire argentine aux nouvelles générations.

« Garage Olimpo » (1999), de Marcos Bechis.
Ce réalisateur italien propose un regard nouveau sur « les détenus clandestins », sur leur condition de vie et de survie, sur la manière dont ils ressentent cette situation. C’est aussi un film très dur qui permet de réfléchir sur un autre aspect de la dictature.

« Kamtchatka » (2002), de Marcelo Pineyro.
Ce film montre à quel point ce régime a produit la dissolution familiale dans le pays. C’est l’histoire d’une famille, dont les enfants, suite à la disparition de leurs parents, sont accueillis par leurs grands-parents. D’une façon subtile et légère, on peut voir un autre impact de la dictature dans la société : la désintégration de la famille.

"El camino de San Diego"



Un autre film surprenant, sorti ce mois-ci dans les salles parisiennes, est « El camino de San Diego » de Carlos Sorin, le réalisateur de « Historias Minimas » (2003) et « Bonbon el perro » (2005) . On retrouve encore une fois une histoire simple, jouée par des acteurs non-professionnels qui parviennent à ôter au film un peu de sa fiction pour coller d’avantage à une réalité plus brute et plus sincère, non répétitive. Le film se déroule une fois de plus dans l'Argentine profonde, mais cette fois-ci l’histoire se passe au Nord-Est argentin, au sein de la forêt de Misiones qui forme la limite avec le Brésil. C’est de nouveau le voyage qui s’impose au protagoniste pour accomplir son rêve.
Comme la plupart des Argentins, le personnage principal, Tati Benitez, voue un culte casi divin pour Maradona, véritable idole argentin qui a su montrer le chemin de la gloire et apporter joie et illusion à son pays. Après avoir appris l’hospitalisation de son idole, Tati décide de faire le voyage jusqu’à Buenos Aires pour lui apporter une offrande. Il entreprend cette démarche en forme de quête spirituelle, où la pensée magique se libère de toute rationalité : il fait ce pèlerinage afin d’offrir quelque chose à celui qu’il admire tant, tout en ayant le sentiment que quelque chose va changer dans sa vie une fois son but atteint.
Le chemin de Tati le long de la route 14 est semé de désespoir, mais aussi d’illusions.
Il y croise les situations sociales les plus décevantes telles que le chômage, les fermetures des entreprises et surtout le sentiment d’abandon des pouvoirs publics et politiques. Dans cette situation, « les saints » tout comme « les idoles » deviennent les seuls à pouvoir apporter espoir et réconfort à un peuple qui ne demande qu’à être écouté. Toutefois, ces difficultés ne sont pas des obstacles pour que Tati parvienne à accomplir son rêve et à poursuivre son chemin.
Avec ce film, Carlos Sorin prend, encore une fois, un soin tout particulier à montrer une Argentine de gens humbles mais dont leurs histoires, qui semblent très banals, les amènent à vivre des aventures qui dépassent la simplicité de leurs vies. Derrière la modestie de ces personnages, se cache leur intérieur plein des richesses ; ils sont pauvres, mais leur fortune réside dans leur ténacité, leur bonne humeur, leur optimisme, leur générosité, leur désintéressement, et tout simplement dans leur volonté d’accomplir quelque chose qui pourra changer leurs vies et d’y croire.
Même si ce film peut paraître pour certains un peu trop dégoulinant de gentillesse, il ne fait que refléter fidèlement le comportement habituel, normal, de beaucoup d’Argentins. Il démontre un pays qui possède le trésor d’avoir encore des gens qui ne sont pas corrompues par le système et qui sont capables d’un bonheur authentique que malheureusement le progrès et la modernité nous font souvent perdre.

Remerciements

Nous remercions tout spécialement à Mathieu Dumesnil et à Roxane qui nous ont aidées dans la réalisation de ce numéro !

28 mai 2007

PRESIDENTIELLE 2007


Comme nous habitons en France depuis plusieurs années, nous nous sommes senties particulièrement impliquées lors des dernières élections, et nous aurions voulu nous exprimer
aux urnes, mais par « des formalités de nationalité » c’était impossible. Nous avons donc trouvé La Pause comme un moyen d’ exprimer notre voix.
On fera alors une "pause" sur le type de sujets que l’on traitait souvent dans cette petite revue,
pour porter notre regard sur l’actualité française, car c’est impossible pour nous de parler d’autre chose ce mois-ci.

FRANCE 2007 OU ARGENTINE 1989?



Après un long trajet parcouru pour arriver au pays de la « liberté, égalité, fraternité », duquel sortent la plupart des auteurs que nous avons étudiés à l’université; fascinées par leurs idées défendant les droits de l’homme et la justice, nous nous retrouvons finalement ici, pour poursuivre et enrichir nos études. Quand on pense à ses écrivains, les noms de Michel Foucault, de Jean Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, entre autres, ressortent tout de suite (des penseurs qui ont participé d’ailleurs dans le boycott pour annuler la Coupe du Monde du 1978 en Argentine, manifestant ainsi leur rejet d’un gouvernement autoritaire qui allait contre le respect de la liberté de l’homme)
On pourrait citer de nombreux philosophes, hommes de lettres et du Droit et des révolutionnaires, pour mieux illustrer ce que La France signifie pour nous, celles que nous écrivons dans cette petite revue. Mais en réfléchissant à toutes ces grandes idées, nous constatons qu’il y a quelque chose qui a changé aujourd’hui… mais que s’est-il passé ?
Ce n’est pas facile à l’expliquer, c’est sans doute la suite des gouvernements, un long trajet politique qui depuis des années a conduit la France vers le chemin opposé aux idées sociales, mais ce qui nous a le plus étonnées est le résultat des dernières élections.
On pensait que dans ce pays, plus ou moins, les idées sociales étaient très fortes, que les gouvernements représenteraient une société défendant ses valeurs et non pas un marché ; qu’ils étaient plus du côté du peuple et de ses besoins que du côté des hommes d’affaires… On était peut-être mal informées, en tout cas c’était cette image là que nous les Argentins avions « du pays de la liberté et des Droits de l’homme ».
Evidement ces grandes idées font aujourd’hui partie du passé ; et comme dit la chanson que nous les Argentins connaissons très bien : « Cambia todo cambia» (change tout change), on a le sentiment que le 6 mai dernier tout a changé.
On croyait qu’en venant ici on lassait loin certaines habitudes, mais malheureusement on constate qu’elles existent aussi ici.
Il était une fois, en 1989, un président argentin qui a fait de son pays un cirque, mais ce n’était pas « un cirque pour les Argentins», c’était « un cirque des Argentins» jusqu’à ce que finalement il ne restait plus rien , ni des Argentins, ni du cirque, ni des hommes…
Malheureusement, ce président argentin avait commencé de la même façon que le nouveau président des Français. Il promettait « tout » afin d’obtenir la présidence et après…. « le show a commencé » : des voyages, du luxe, des spectacles, des amis, des amis entrepreneurs. En même temps, un côté obscur et caché : la répression, la « vente-cadeau » des entreprises argentines, le délaissement de l’éducation et la seule envie de se remplir les poches avec le travail de tout un pays, faisant des plus pauvres encore plus pauvres et des riches encore plus riches. Ce président a démontré que rien ne l’intéressait à part lui, ni les gens, ni la société, ni son propre pays.
Nous avons déjà vécu un président comme celui-ci, et nous espérons que cette histoire ne se reproduira pas dans « notre nouveau pays ».
C’est notre meilleur veux pour ces nouvelles cinq années qui commencent !

Les médias: l’information et la réalité


C’est grâce aux médias étrangers que l’on a pu avoir connaissance de ce qui se passait dans l’ensemble du pays le soir même des résultats de la présidentielle. Pendant que la télévision et les journaux français montraient des images émotives d’une France très heureuse en train de fêter à la Place de la Concorde son nouveau chef d’état, il y avait une autre France en train de manifester contre ces résultats. Cette aut re France était dissimulée aux Français, ce n’est que le lendemain que la majorité de la société a pris connaissance de l’ensemble des événements à l’issue des élections.
Le lendemain de cette soirée de joie et de rejet, les journaux français n’accordaient pas l’importance due à ces fortes manifestations. Ils indiquaient dans la plupart qu’il s’agissait des manifestants d’extrême gauche, laissant comprendre qu’on avait affaire à un combat seulement politique dont le côté perdant ne se résignait pas à accepter la défaite.
En revanche, le soir même des résultats, plusieurs journaux argentins parlaient déjà de l’état de mécontentement régnant en France, de la peur que le nouvel élu génère chez une grande partie de la p opulation et qui n’a rien à voir avec l’identification à un parti politique.
Les médias français ne voulaient peut-être pas montrer l’image d’une France divisée- ce qui d’ailleurs va contre l’un des principaux propos du nouveau président- mais pendant que la Place de la Concorde regroupait une partie joyeuse et satisfaite de la société française, une autre partie de la société faisait face à la police qui commençait déjà avec « ses devoirs » le soir même où « le premier policier » a été élu comme « le président de tous les Français »

23 avril 2007

MALVINAS : D’AMOUR ET DE TRAHISON

Ce mois-ci le nom de Malvinas revient dans nos mémoires, mais dans quel sens ? Quand on parle de Malvinas en Argentine ce nom est directement lié à la guerre, dire Malvinas serait donc devenu un synonyme de guerre ?. Pourtant on veut considérer qu’il s’agit aussi d’un territoire, d’un morceau de terre, des îles sans importance, comme beaucoup ont dit quand le conflit s’est déclenché. On n’arrive pas à les définir, elles restent encore un point noir dans notre histoire, un territoire que l’on voudrait parfois oublier. Territoire et guerre… C’est dans ces deux sens que l’on va essayer de les considérer et c’est dans ces deux aspects que l’on a pu trouver des liens avec la France.
« No llores por mi Argentina »
Il reste un mystère de l’histoire quelle nation a été la première à découvrir ces îles, car depuis le XIVs plusieures nations ont cru les avoir découvertes. Les anglais les avaient apperçues et baptisées Falkland en honneur à l’un de ses protecteurs. Mais le nom tel que nous les connaissons en Argentine est directement lié aux Francais. Certes, en 1762 c’était l’explorateur français Louis Antoine de Bougainville qui a établit la première colonie en Malvinas, les battisant Malouines en honneur aux habitants de Saint Malo (malouins),d’où il provenait. L’histoire raconte qu’ après, la France les a cèdées à la couronne espagnole.
“No bombardeen Buenos Aires”
La France a été présente dès ses origines dans l’histoire des Malvinas, et pendant la guerre un autre nom est lié à ce pays, celui de l’Exocet, le missile mit en oeuvre par une escadrille d'attaque de l'aéronavale argentine à partir de cinq avions français Super Etendard. Indirectement, la France a été mêlée à cette guerre par la vente d’armes à l’Armée Argentine.
Alors que ces missiles étaient utilisés contre l’armée britannique, le président français du moment, François Mitterrand confiait à son psychanalyste : « j’ ai eu une différence d’opinion à régler avec la Dame en Fer ». C’était le 7 mai 1982, Margareth Tacher devenait la principale préoccupation du président. Elle avait menacé d’une attaque nucléaire contre l’Argentine, si le président ne lui révélait pas les codes qui neutralisaient les missiles vendus aux Argentins. François Mitterrand a du accéder au désir du Premier ministre britannique dont il disait qu’elle avait « l’œil de Caligula et la bouche de Marilyn Monroe ».
REGRETTABLE
Malvinas est un territoire irrémédiablement lié à une guerre et par conséquent, à la douleur. Même si en essayant, on ne peut pas les considérer séparément. Les responsables de cette guerre ont voulu récupérer ces terres pour l’Argentine, mais quelle était la véritable raison qui se cachait derrière cet essor de patriotisme ? Non seulement ils sont arrivés à affirmer le pouvoir des Anglais sur ce territoire, mais ils l'ont fait perdre de l’esprit argentin. Cela est regrettable.
«Regrettable est le fait d’être allés à la guerre par la décision démagogique des êtres regrettables»
Malvinas n’a été qu’une guerre de propagande dont le but était d’affirmer un gouvernement qui s’affaiblissait. En effet, en 1980, le pays était hypothéqué, soumis à une profonde crise économique, avec une croissance du chômage, de la misère et de la pauvreté. A cela s’ajoutaient les dénonciations de fortes violations des Droits de l’Homme de la part du gouvernement de facto qui dirigeait le pays.
Leopoldo Galtieri, troisième et dernier dans la succession des gouvernements militaires depuis 1976, avec ses conseillers les plus proches, a eu recours à cette guerre pour allumer l’âme de la patrie argentine et éloigner la mauvaise réputation d’un régime détesté par le peuple.
« Regrettable est la naïveté de ce 2 avril 1982, où nous avons cru récupérer les îles et avons
accroché aux balcons des drapeaux argentins »
Le pays est entré dans une fureur patriotique, poussée par le gouvernement. La grande majorité des citoyens et leurs représentants soutenaient la cause de Malvinas. Le gouvernement militaire a obtenu pendant ces premiers jours ce qu’il cherchait : l’oubli et le soutient de la part du peuple. Mais si nous connaissons déjà les raisons de la dictature pour s’aventurer dans cette guerre, quelles ont été celles de la société pour soutenir le délire qu’impliquait, non seulement la confiance au régime, mais le fait de lui donner ses enfants pour être menés aux fronts de la mort ? Lesquelles ? Le désir de liberté à n’importe quel prix ? la naïveté ? l’ignorance ? le désir de gloire comme celui vécu en 78 ? ou simplement l’amour à la patrie ?

Un mensonge prémédité, le soir où tous les Argentins étaient unis

Le 20 mai 1982, tous les Argentins se sentaient unis. La transmission d’une émission de télévision pendant 24 heures avait le but d’inciter les gens à faire des dons pour aider les soldats participant au conflit. Deux présentateurs, les plus connus à ce moment-là, en étaient les responsables : Pinky et Cacho Fontana.
Quelque temps après, tout le monde se demandait où tout était passé : l’or, les vêtements, l’argent et les aliments donnés pour les soldats argentins.
Cela montre le niveau de manipulation et de désinformation de la part des médias argentins, pendant les mois de la guerre. Le gouvernement militaire contrôlait tout, c’est-à-dire, qu’il s’occupait de censurer toute l’information qui arrivait aux gens.
La télévision passait des images laissant croire que les soldats argentins étaient en train de gagner la guerre: qu’un navire anglais venait d’être détruit, que tout allait bien….L’appel au patriotisme était toujours présent, toute la société avait confiance et tous les médias étaient d’accord pour montrer une victoire irréelle.
Mais la vérité était autre, et s’est dévoilée tout d’un coup.
Les Anglais ont eu la victoire et 756 soldats argentins étaient morts.
Les Argentins ont compris que tout était un mensonge, la tromperie étant le dernier recours d’un gouvernement qui s’écroulait…. Et avec cette constatation, le gouvernement militaire est finalement tombé.

Les medias argentins pendant la guerre

Quelle était l’information passée par les médias ? On peut lire dans le Magazine « GENTE » du 6 mai 1982 : « Mardi, 16h10. Port Darwin. Iles Malouines. Des soldats Argentins attendent des possibles débarquements. Cependant, seulement une attaque aérienne est registrée, deux avions anglais sont abattus. » « Nous sommes en train de gagner »

L'OUBLIE

Cette photo a été trouvée par les Anglais et déposée au Imperial War Museum de Londres où elle est expliquée ainsi : « Un soldat argentin disgracié et crevant de froid boit d’un coco »
En contemplant cette photo, on réfléchit sur le fait que ces Anglais ignoraient tout de lui. Cet homme n’était qu’un soldat pour eux, Ils n’avaient aucune idée de sa culture, du maté qui le réconfortait. Mais nous non plus, nous ne connaissons rien de ce soldat « disgracié » et pire encore, nous ignorons sa destinée. On ne sait pas s’il est revenu de la guerre. Il était encore un adolescent, embarqué vers la fin du monde, presque sans entraînement. Mais après ? Comment sa vie a-t-elle continuée?
Il était l’un de ces soldats qui, selon le témoignage même de l’Armée Argentine, « n’ont jamais été ni organisés, ni équipés, ni instruits pour faire face à des adversaires capables de mener des opérations au niveau mondial, car les coûts et les efforts que cela impliquait étaient au-delà des possibilités de notre pays »
On a du mal à imaginer son retour, sa réinsertion dans la société argentine. Il a dû garder autant de choses qu’il aurait voulu raconter, victime du silence qui s’est généré autour de la guerre dont le sort lui en a fait faire partie.
Parler de Malvinas en Argentine devient parfois une affaire de fascistes ; on a du mal à le considérer comme une victime de plus de la dictature militaire, car il reste pour la plupart un « ex-combattant » . On n’a pas encore pu faire disparaître cet abîme, car quand on pense au terrorisme d’Etat on pense aux torturés, aux disparus… mais son sort à lui, on l’a oublié.
Il n’a sûrement pas pu trouver du travail, il doit vendre des souvenirs de « sa » guerre dans les bus de Buenos Aires, surmontant chaque jour l’indifférence ou les regards de compassion.
Il est peut-être devenu alcoolique, il doit mal dormir, il doit avoir du mal avec les rapports humains car ses réactions sont sûrement violentes. Il a peut-être essayé de se suicider … ou il l’a déjà fait. De toutes façons, ne le tuons-nous pas chaque jour avec notre oubli, notre indifférence, notre manque d’intérêt à propos de ce qu’il a vécu ? On a du mal à le séparer des militaires. Pour nous, la tragédie de Malvinas est finie avec la guerre, on considère rarement que c’est avec elle que la sienne a commencée.

21 mars 2007

L’ Argentine et la France: une relation bizarre

Avec tous ces numéros de La Pause on a vu et constaté qu’ il y a beaucoup de rapports entre la France et l’ Argentine, mais quand on regarde le dernier coup d’état militaire en Argentine, on trouve des relations obscures et en même temps des événements très satisfaisants entre ces deux pays.
Ce mois-ci, c’ est le 31 anniversaire du Coup d’Etat et on voudrait montrer les deux côtes de la médaille représentant les rapports entre les deux pays à cette époque :
D’un côté, des militaires avec leurs méthodes de torture et d’un autre côté des organisations sociales avec leurs actes solidaires...
On vous laisse donc un numéro consacré à la dictature militaire en Argentine, pour connaître ce qui s’est passé pendant ces années dures dans ce pays et pour voir quel a été le rôle joué par la France.
Une seule chose reste à répéter encore une fois: NUNCA MAS (Plus jamais)

Le mauvais côte: les militaires «L’ordre de bataille de mars 1976 est une copie de la bataille d’Algérie»

Il est connu que les militaires argentins ont bénéficié du soutient militaire et financier des Etats-Unis lors de la dictature commencée en 1976, mais le rôle français dans sa genèse est pourtant beaucoup moins connu.
Dotée d’une nouvelle doctrine militaire, née lors de la « guerre révolutionnaire », la France n’hésitera pas à exporter ses techniques principalement en Amérique latine, puis malgré les réticences, aux Etats-Unis.
Pendant les guerres de colonisation, il surgit une nouvelle notion d’ennemi : il « est partout et nulle part à la fois » ; il n’ est plus seulement le combattant mais désormais il peut être n’importe qui. Avec cette conception de « l’ennemi intérieur », l’armée française développera ce qui a été connu comme la « doctrine française » dont les principaux éléments de guerre antisubversive sont la torture et la disparition des gens.
C’est lors de la bataille d’Alger (1957) que la torture est conceptualisée en tant que méthode de guerre et légitimée par son efficacité: elle permet d’obtenir dans un délai court des renseignements pouvant sauver des vies. Elle n’est pas une dérive, mais un outil de la guerre antisubversive, inhérent au renseignement.
Une nouvelle arme de la guerre contre-révolutionnaire apparaît aussi lors de cette bataille : la dissimulation massive de cadavres, les « disparus ».
En Argentine - selon les confessions du général Díaz Bessone - la « disparition » sera entre autres un moyen de se débarrasser des personnes sans s’attirer les foudres de la communauté .
Cette guerre révolutionnaire légitime de fait la dictature militaire : tout acte peut être considéré comme « subversif », le terroriste n’est pas seulement celui qui a une bombe, mais également celui qui propage des idées contraires à « la civilisation occidentale et chrétienne » L’armée qui ne tolère aucune contestation se comporte comme une force d’occupation dans son propre pays, dont les victimes sont ses propres concitoyens. Pire, pour le général Ibérico Saint-Jean, 3e corps d’armées d’Argentine (1977), doivent être tués « tous les subversifs, ensuite les collaborateurs et les sympathisants, puis les indifférents, et finalement, tous les indécis ».
Fin 1958, le ministère français de la Défense approuve un séjour en France, Europe et Afrique pour soixante officiers de l’Ecole supérieure de guerre argentine. Le colonel Carlos Rosas facilitera la greffe de la doctrine française en Argentine. Elève de l’ESG de 1953 à 1955, il devient sous-directeur de l’Ecole Supérieure de Guerre de Buenos Aires où il convaincra la direction de créer un cycle d’études baptisé « La guerre révolutionnaire communiste », et d’envoyer des officiers se former à Paris. En 1959, un accord secret entre les gouvernements français et argentin (signé en février 1960) prévoit la création d’une « mission permanente d’assesseurs militaires français » en Argentine. Cette mission perdurera jusqu’à la fin des années 1970.
Exportant la notion d’ennemi intérieur, les assesseurs français n’auront alors de cesse de répéter à leurs homologues argentins, à longueur de conférences, articles et exercices d’entraînement, que le communisme (et par extension le péronisme ) sont le mal absolu, que pour venir à bout de la subversion le champ de bataille est le territoire argentin lui-même et que pour sauvegarder les valeurs chrétiennes de la civilisation occidentale il faut détruire l’homme lui-même.

Le bon côté: un pays pour s’exiler et pour s’exprimer. «Exilés pour écrire»


La conséquence de la nouvelle forme de vie instaurée en Argentine, après le coup d’état militaire et de la persistante persécution des gens, a été l’exil vers l’étranger. Il y avait beaucoup de destinations et la France a été l’un des pays les plus choisi. Pendant leurs exils parisiens, beaucoup d’Argentins ont créé des organisations avec différentes sociétés de publications. Leur principal objectif était de dénoncer les aberrations qui se passaient en Argentine par rapport aux droits de l’Homme et d’y sensibiliser tous ceux qui n’étaient pas involucrés, afin d’obtenir la solidarité avec le peuple argentin.
Parmi elles on trouve le CAIS, créé en octobre 1975 et composé par des membres de Montoneros, des ERP et des groupes de la gauche trotskiste et d’autres indépendants. Ses publications ont été, entre autres, le Bulletin d’information (en français, 1976-1977), ensuite El Canillita et Informaciones de la Argentina (en espagnol, 1978-1979).
On trouve aussi la CADHU, avec son Bulletin (en version française et espagnole, sortant tous les deux mois , 1977-1983); et le CO.SO.FAM dont son Bulletin était mensuel.
Il y a eu aussi des sollicitations payées, comme a été le cas de Le Monde, que l’on peut voir dans les dates suivantes: 24/10/76 ; 27/28/3/77 ; 11/79 ; 15/6/81 ; 1/6/81 ; 21/4/82 ; 16/5/82.
Un cas que l’on voudrait retenir est celui de l’écrivain Osvaldo Soriano, qui après avoir passé quelques jours à Bruxelles, arrive à Paris pour continuer son exil. Il est toujours en contact avec Osvaldo Bayer, exilé en Allemagne, et commence à fréquenter Julio Cortázar, qui habitait déjà à Paris. Les trois intellectuels vont publier «Sin Censura», la revue de l’exil argentin apparue à Paris. Carlos Gabetta et Jorge Lofredo vont collaborer eux aussi à cette revue.
«Je me rappelle toujours de cette publication comme un orgueil des exilés qui ne se sont pas rendus mais qui ont mis leur grain de sable pour l’éclaircissement des crimes de la brutale dictature militaire.» Raconte Soriano.
«N’arrêtes pas d’écrire pour rien au monde, rappelle-toi que c’est tout ce qu’on peut faire en ce moment, laisser des papiers encrés à propos de certaines choses que nous sentons ou voyons. Je ne crois pas qu’un écrivain soit très important dans ces temps-là, mais il ne faut pas non plus réduire la valeur qu’un témoignage peu avoir dans le futur.» Ecrivait Soriano à Bayer dans ses Lettres d’exil.
La plupart de ces intellectuels sont restés en vie grâce à l’exil, mais d’autres ont été enlevés et disparus en Argentine pendant ces années noires. Rodolfo Walsh par exemple éditait clandestinement en Argentine pour dénoncer les faits de la dictature: «La Carta abierta a la junta militar» et «La agencia clandestina de Noticias» sont quelques-uns de ses écrits à lui.
Mais il n’y avait pas que les Argentins qui s’occupaient de dénoncer, le rôle de certains intellectuels français a été présent aussi contre la dictature militaire, principalement par la tentative de boycott de la Coupe du Monde de 78. Ce mouvement s’organisa en France en 1977. Regroupés au sein d’un comité (COBA), les opposants avaient pour objectifs d’alerter l’opinion publique sur la situation argentine, de faire pression sur les instances politiques et le mouvement sportif, en particulier les fédérations nationales et internationales de football, pour qu’ils déplacent, voire annulent, la compétition. Il s’agissait, en dernière analyse, d’isoler et de renverser le régime argentin.
Les partisans du boycott venaient d’horizon divers : outre les intellectuels, de gauche comme de droite, tels Sartre, Aragon, Domenach ou encore J.-F. Revel, on comptait dans leurs rangs des artistes, des réfugiés politiques d’Amérique latine, des organisations humanitaires et surtout des militants issus de cette constellation de partis et de courants que constituait l’extrême gauche.
Cette tentative a échouée, à gauche comme à droite , on opta pour le maintien du déroulement de la Coupe du Monde en Argentine.

Quelques faits très récents liant la France et l’Argentine dans le non oubli de la dictature


Dans la station de métro «Argentine» une plaque commémorant le 30ème anniversaire du coup d’Etat militaire a été placée le 24/03/2006, le jour même de l’anniversaire . L’inscription porte l’expression : Nunca Mas, renvoyant à la devise: « Plus Jamais, dans notre patrie, ne se reproduiront pareils événements qui nous ont fait devenir tragiquement célèbres dans le monde civilisé »
Le 14 décembre dernier l’Association des Grands-Mères de la Place de Mai a reçu le prix 2006 des Droits de l’Homme de la République Française. L’un des deux thèmes retenus par la Commission Consultative Nationale des Droits de l’Homme, était la lutte contre les disparitions forcées. Les autorités françaises ont voulu rendre hommage à la lutte incessante des Grands-Mères contre les disparitions forcées et l’impunité, et en faveur du droit à l’identité.
Le 6 février dernier, une soixantaine de pays ont signé à Paris une convention internationale «pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées». Le texte, a été préparé sous l’impulsion de la France et de l’Argentine, dont il s’agit du premier traité visant à interdire, en toutes circonstances, «la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée»; c’est-à-dire l’enlèvement de personnes et leur détention dans des lieux secrets - souvent accompagnée de tortures - et cela quels que soient les auteurs de ces actes , qu’ils soient les agents d’un Etat (police, armée) ou tout groupe non étatique, telles milices ou guérillas.
Au mois de juin prochain, une place portant le nom : « Mères et Grand-Mères de la Place de Mai » sera inaugurée à Paris, en hommage à la lutte courageuse, infatigable et exemplaire de ce groupe de femmes. Cette place sera située dans le 15ème arrondissement, au pied de la Seine et du pont Mirabeau.
Les français qui ont aussi disparus
Dix-huit citoyens français ont disparus pendant la dictature militaire argentine. Nous voulons retenir le cas des sœurs Léonie Duquet et Alice Domon, car toutes les deux représentent la solidarité pendant ce moment tragique de l’Argentine. Les deux sœurs résidaient depuis dix ans en Argentine et appartenaient à « l’Institut de Missions Etrangères » qui avait son siège en France. Les sœurs apportaient une assistance spirituelle aux familles des disparus argentins. Alice Domon a été arrêtée le 8 décembre 1977 et Léonie Duquet le 10 par une équipe spéciale placée sous le commandement d’Alfredo Astiz ; elles ont été conduites à l’Ecole de Mécanique de la Marine (ESMA) où elles ont été torturées pour finalement être jetées à la mer depuis un avion. Les dépouilles de Léonie Duquet ont été retrouvées récemment (en juillet 2005) dans une fosse commune où avaient été enterré des corps ramenés par la mer plusieurs années auparavant. Cette découverte lève le voile sur la triste destinée des « disparus ». Ces femmes ont été jetées par avion, pendant les « vols de la mort » Ses restes ont été identifiés le 29 août 2005. Alice Domon est toujours disparue.

« Chaîne Informative est l’un des instruments que le peuple argentin est en train de créer afin de rompre le blocage de l’information. Chaîne Informative peut être vous-même. C’est un instrument pour que vous vous libériez de la Terreur et libériez d’autres personnes de la Terreur. Reproduisez cette information, faites-la circuler grâce aux moyens à votre portée : à la main, à la machine à écrire, au mimographe. Envoyez des copies à vos amis : neuf personnes sur dix sont en train de l’attendre. Des millions de personnes veulent être informés. La terreur est basée dans le manque de communication. Rompez l’isolement. Sentez de nouveau la satisfaction morale d’un acte de liberté »
(Rodolfo Walsh, Chaîne Informative, message N°4, février 1977, texte original en espagnol)
*Dessin fait par Ricardo Mosner

13 février 2007

PARLONS DE FOOT

Pour continuer de parler des rapports entre la France et l’Argentine, on se met cette fois-ci sur un autre terrain ; parlons football.
Quand on dit qu’on vient de l’Argentine, de l’autre côté naît un sourire et tout de suite naissent des commentaires de ce genre : le pays du foot ! la terre de Maradona ! C’est une association directe, personne ne peut nier que le nom de l’Argentine est directement lié au football.
Cela faisait un bon moment qu’on voulait s’interroger sur le pourquoi de cette association, sur ce que le football argentin représente pour les Français (image qui est aussi dans l’imaginaire du reste du monde) et sur ce qu’il représente pour nous, les Argentins.
On a donc choisit d’en parler dans ce numéro car un événement important, liant ces deux pays, se déroule ce mois- ci ; cette fois non pas sur un plan intellectuel et artistique, comme on l’a traité dans le numéro précédent, mais sur le plan sportif. Cela faisait un peu plus de 20 ans que la France et l’Argentine ne s’étaient pas confrontées au football, et c’est au Stade de France que ces deux nations vont s’affronter; Paris, accueillant une fois de plus l’esprit argentin.

« Il n'y a pas de meilleur supporter que l´Argentin." Phrase que le reste du monde nous adresse quand il s’agit de parler de foot. Il est certain que cette expression naît du fait que le phénomène football s’étale dans tous les domaines de la société argentine. Ainsi, la première question que pose un Argentin en rencontrant un autre est : tu supportes quelle équipe ? De là peut ou non naître une amitié. Les dimanches sont consacrés au foot ; celui qui suit un match ne peut pas répondre à une autre question qui ne soit pas en rapport avec le sujet. A toutes les tables argentines parler de foot s’impose, et souvent cela finit par des disputes. Combien de frères, de parents, d’amis se sont-ils disputés à cause de ce sujet ?
Dans plusieurs familles argentines, l’enfant, avant de naître, a déjà le maillot de l’équipe que son père a choisi.
Par ailleurs l’Argentin devient très exigent en matière de foot parce qu'il sait qu'il compte sur des joueurs qui se trouvent parmi les meilleurs du monde.
Cette mystification du football argentin est due aussi à la chaleur et à l’exubérance manifestées pendant les matchs, ce qui transforme les stades de foot en une attraction touristique.
Les rues sont de River ou de Boca, de Rosario Central ou de San Lorenzo.
Bref, le football est si présent dans cette société qu’on a même pu trouver des opinions parmi des intellectuels argentins remarqués.
Il semblerait pourtant que la littérature n’a pas donné au foot le même statut qu’il a dans la société argentine ; selon l’ex footballeur Jorge Valdano cela est dû à trois choses : la méfiance de la gauche envers le football, la méfiance des intellectuels envers les masses et la méfiance de l’esprit envers le corps. Il y a pourtant certains écrivains qui ont su dépasser ces barrières.
Tel est le cas d’ Ernesto Sabato qui, dans sa jeunesse, était joueur de foot et qui ne rate jamais la possibilité de se rendre au stade. Son désir exprimé à 93 ans, dans II Congreso Internacional de Lengua Española à Rosario est un témoignage de plus de son attraction envers ce sport : « La seule chose que je veux ramener de Rosario c’est le maillot de Rosario Central. » Il a manifesté aussi que « le football est l’une des choses les plus complexes, j’ai de la passion pour le foot. »
Dans son livre Sobre héroes y tumbas le football fait partie des conversations de rue et de pizzerias, pour montrer que dans le foot, comme dans la vie, l’humanité avait échouée aussi.
L’écrivain Osvaldo Soriano raconte dans son article Festejos des moments qui le lient au football. Seul, dans son studio à Paris, il suit par téléphone le match de San Lorenzo qui se déroule à onze mille kilomètres de distance. « Avec qui vais-je fêter le titre maintenant ? Avec qui je le partage ? Qu’est ce que je fais ? Je laisse tomber les deux cents pages de mon roman et je vais finir la nuit à Pigalle ? »
Soriano a bien su mélanger la littérature et le foot, ainsi dans une histoire de «Piratas, fantasmas y dinosaurios », il explique par la bouche de son personnage : « -il s’agit de quoi le livre ? de foot ?
Non, il s’agit des buts que l’on rate dans la vie. » Lire Osvaldo Soriano, c’est sans doute pénétrer dans l’âme argentine. Il utilise la métaphore du football pour montrer les opportunités que l’on perd dans la vie de chaque jour. « El penal mas largo del mundo », “Arqueros, ilusionistas et goleadores” « Cuentos de los años felices” sont des exemples de ses livres consacrés à ce sport.
Roberto Fontanarrosa n’est pas seulement un humoriste et écrivain, mais il est aussi un spécialiste du foot qui donne une vision sur cette passion dans ses manifestations les plus diverses, à l’intérieur et à l’extérieur du terrain. Le foot, comme une fête sociale, comme un monde qui atteint des dimensions magiques, surprenantes et inespérées, rencontre chez Fontanarrosa l’un de ses représentants les plus remarqués, qui a su lier grâce à l’humour les pôles opposés de la littérature et du foot. Ses livres sur ce sport sont : “No te vayas campeón”, “Cuentos de futbol argentino” et « El area 18 ». Il imagine le football remplaçant la guerre, les disputes de territoires entre deux pays se résolvent par un match de foot.
Il ne faut pas oublier de citer le commentateur sportif Victor Hugo Morales, qui est devenu une institution du football argentin. Personne ne peut oublier son cri lors du célèbre but de Maradona contre les Anglais en 1986 « cerf- volant cosmique, de quelle planète viens-tu ? Merci Dieu ! Pour le football, pour Maradona, pour cette larme ». Morales a porté des réflexions intéressantes sur la place de ce sport dans la société argentine : « Cela me préoccupe en tant que citoyen. Le foot est devenu la culture dominante. En ce moment, ce ne sont pas seulement les hommes, mais aussi les femmes, les adolescents et les enfants qui mangent, boivent et pensent football. C’est le code de rapports le plus fréquent, peut-être l’unique pour certains, au sein de notre société…Avec la crise économique, la « pelota » qui occupait traditionnellement une position considérable dans la société, est venue combler le vide laissé par le désenchantement et la pauvreté dans une situation de grande pauvreté. Il suffit que Messi laisse trois adversaires sur place avant d’aller marquer pour que le public oublie le climat de misère qui règne dans le pays . »
Finalement on ne peut pas oublier ce que Borges pensait du football,. Il a manifesté plusieurs fois son aversion pour ce qu’il considérait comme un sport ennuyeux et dont il ne supportait pas « l’ignoble esprit de compétition » Il a touché les Argentins avec sa célèbre phrase « le football est populaire parce que la stupidité est populaire. »

Derrière la Coupe du Monde de 1978


Le football suscite des passions et de ce fait peut être un instrument de contrôle et de manipulation sociale. L’image que la Coupe du Monde de 78 montrait au reste du monde était celle d’une Argentine glorieuse et joyeuse. Le football cachait cette fois-ci la torture, des gens jetés dans l’eau par avion, pendant l’événement qui montrait « un pays en ordre » et qui avait reçu la bénédiction papale.
La fête et la tristesse ont d’avantage divisé le pays pendant ce mois du Mondial 78. D’un côté le gouvernement militaire, dans ses années les plus dures de répression et de disparitions collectives de personnes. De l'autre côté, le pays fête les buts avec une ferveur patriotique. Cette coupe du monde a été une sorte de combinaison de passion et de sang, de patriotisme et de douleur, de « goal » et de rage, de gloire et de terreur.
Cette manipulation aurait pu s’éviter. La Hollande et la France ont été à la tête d’une campagne, initiée par des organismes de droit de l’homme et des groupes de gauche, afin de boycotter cette Coupe du Monde ; créant ainsi le COBA (Comité d’Organisation de Boycott contre l’Argentine), dont le président était le journaliste français François Gèze. Mais à l’intérieur même de l’Argentine, les médias s’occupaient de montrer une image surréaliste d’un pays qui n’existait pas. Des cartes postales et des photos étaient envoyées à différents pays, avec la célèbre phrase militaire : « Les Argentins, nous sommes droits et humains ».
Le football produit cette passion bizarre, une capacité de nous distraire, de nous faire oublier les choses par le cri d’un but. Combien de familles argentines ressentaient-elles la douleur d’avoir un lit vide, pendant ce mois du Mondial 78, tout en voulant voir à tout prix les matchs ?
Estela de Carlotto (Présidente de l’Association "Grands-mères de la Place de Mai") nous raconte que pendant qu’elle pleurait avec son mari, dans la cuisine, la disparition de sa fille, dans le salon, ses beaux-frères et d’autres membres de la famille fêtaient les buts de Kempes et compagnie.

Une touche de football argentin en France


Les liens entre la France et l’Argentine concernant ce sport ont toujours été forts. Le Championnat de France compte actuellement onze joueurs argentins dans six de ses équipes les plus importantes. Six autres compatriotes jouent dans la Ligue de seconde division du foot français, et il ne faut pas oublier la présence d’Alberto Costa dans la Ligue Nationale Française.
Certains joueurs ont fait un parcours remarquable dans l’histoire du football français, comme Carlos Bianchi, qui a joué dans plusieurs équipes de l’hexagone (1973-1985), considéré un temps comme meilleur buteur, pour ensuite devenir entraîneur de certaines équipes françaises. Jorge Luis Burruchaga a eu lui-aussi un parcours important en France (1986-1992) où il a été mêlé au scandale d’une affaire de corruption (l’affaire VA-OM, 1993). D’autres noms ne peuvent pas non plus être oubliés, comme celui de Juan Carlos Sorin, Gabriel Heinze et Marcelo Gallardo.
Il y a toujours eu une très bonne relation entre ces deux pays en matière de football et ce dernier temps on a beaucoup entendu parler du football argentin en France ; principalement par la venue de plusieurs joueurs argentins en équipes européennes, et par le désir manifesté par le joueur français David Trézéguet d’aller jouer en Argentine, le pays de ses origines. Le sujet le plus controversé et ayant donné lieu à quelques tensions entre les deux pays a été la possible venue de Gonzalo Higain chez les Bleus . Ce joueur, de nationalité française, mais qui vit en Argentine depuis ses 14 mois, a mentionné la possibilité de jouer en équipe de France, ce qui a déclenché une suite de « malentendus ». Le joueur a finalement donné sa réponse : rester en Argentine, “C’est le choix de mon cœur. Tous mes amis, ma famille et mon football sont de là-bas, je ne me voyais pas prendre une autre décision ».